Péripéties de la fondation d’une école professionnelle officielle à Elisabethville, confiée en 1955 aux Salésiens de Don Bosco du Congo Belge
Introduction
Le but de notre recherche est de retracer de manière rigoureuse le processus de la fondation de l'Ecole Professionnelle Officielle (« E.P.O. Don Bosco »), dès sa première conception jusqu'à la mise en place effective de cette école. Elle deviendra l'Ecole Technique Officielle (« E.T.O. Don Bosco ») et, plus tard, l'Ecole Technique Salama (E.T.S.) que nous connaissons actuellement, en 2005 .
Ce parcours est instructif à plus d'un point de vue car il nous enseigne sur l'histoire coloniale du Congo, notamment sur ses politiques de l'enseignement et sur l’implantation de la Congrégation salésienne au Congo belge et ses options pédagogiques .
L’Ecole Technique Salama ouvrit ses portes le 11 octobre 1955. Du moins, ce jour-là a effectivement débuté la première année scolaire de son histoire. Mais qu’est-ce qui a précédé ce jour mémorable ? A vrai dire, il s’agit de toute une histoire...
1. L’avant-projet : créer une nouvelle école professionnelle à Elisabethville
(1930-1948)
C’est en 1930, d’après le père Léon Verbeek , qu’on a commencé à proposer la création d’une école professionnelle pour externes à Elisabethville. Mais la crise économique mondiale avec ses répercussions au Congo, obligèrent d’y renoncer à ce moment. En 1944, après la deuxième guerre mondiale, les autorités de la province du Katanga, parleront de nouveau de la création d’une école professionnelle à Elisabethville dans leur conseil de province. Puis, à la mort de Mgr. Joseph Sak, le 15 mars 1946, le provincial de Belgique, le père Jules Moermans, proposa même de ramener l’école professionnelle de Kafubu en ville. En effet, elle avait fonctionné en ville, jusqu’en 1928, sur un terrain avoisinant le Collège Saint François de Sales (actuellement l’Institut Imara), avant d’être transférée à Kafubu par la volonté de Mgr. Sak. Devenu préfet apostolique du Luapula supérieur en 1925, avec résidence à Kafubu, il avait pu imposer ce transfert car, tout en étant préfet apostolique, il était resté représentant légal des salésiens affectés à l’enseignement au Congo. Plusieurs confrères du Collège protestèrent contre ce transfert de l’école professionnelle loin de la ville, mais rien n’y fit, car Mgr. Sak voulait cette école près de son siège à Kafubu comme pièce maîtresse dans la consolidation de sa jeune préfecture apostolique.
A la date du 13 mai 1946, la question du transfert de l’école fut traitée au sein du Chapitre Supérieur de la Congrégation salésienne . Mgr. Celso Constantini, secrétaire de la Congrégation vaticane « de Propaganda Fide », avait demandé l’avis du Chapitre Supérieur sur la question suivante : ne fallait-il pas transférer l’école professionnelle de Kafubu à Elisabethville en vue de conjurer le danger de l’ouverture d’une école professionnelle « laïque » ? Cette préoccupation fut transmise aux salésiens du Congo. C’est ainsi que, au mois de mars 1948, le père Arnold Smeets, en ce moment délégué du provincial au Congo, eut un entretien avec Mgr. Jean-Félix de Hemptinne qui lui raconta qu’à l’époque où l’on parlait du transfert de l’école professionnelle, voulue par les autorités civiles pour des raisons d’urbanisme, il avait proposé à Mgr. Sak de la transférer, non pas à Kafubu, mais au bord de la ville . Mais Mgr. Sak avait refusé sa proposition. Il continua en affirmant que, d’une façon ou d’une autre, une école professionnelle aurait dû être fondée à Elisabethville, car si ce n’étaient pas les missionnaires catholiques qui le faisaient, ce seraient les "laïcs" et, ajouta-t-il, dans ce cas « ce sera l’emprise de l’enseignement laïc sur la grande masse des jeunes qui s’y dirigeront nécessairement ». Il conclut qu’il allait s’adresser à diverses congrégations religieuses pour prendre en main cette nouvelle école : « Je [le] demanderai aux Salésiens, aux Frères des Ecoles Chrétiennes et aux Aumôniers du Travail. ». Aussitôt après cet entretien, le père Smeets, mit son provincial, le père Frans Lehaen, au courant de cet important entretien pour le convaincre de ne pas laisser passer cette chance unique d’avoir une grande école professionnelle en ville. A son avis, cela ne nécessitait pas un transfert de l’école de la Kabubu qui pouvait bien rester là où elle était, à la disposition des jeunes venant du Vicariat du Haut-Luapula (ou la « Botte de Sakania »). Il s’agissait plutôt de créer une toute nouvelle école pour la jeunesse urbaine d'Elisabethville et il donna clairement son avis favorable :
« ... ce serait un grand bien si les Salésiens pouvaient prendre la direction de cette Ecole Industrielle ou Professionnelle en ville, c.-à-d. aux portes de la ville... car peu importe que ce soit dans le Vicariat de Mgr. de Hemptinne [ou dans un autre vicariat], ce sera toujours l’Ecole Professionnelle des Pères Salésiens [...]. Je suis donc franchement [favorable] pour [dire] oui, car une fois donnée à une autre congrégation, nous n’aurons plus l’occasion d’accepter une telle œuvre importante et unique en son genre. »
Sous quel régime cette école fonctionnerait-elle? En mars 1948, Mgr. de Hemptinne n'avait pas voulu répondre à la question posée par le père Smeets, aussi représentant légal des salésiens au Congo. Mais, en juillet 1948, il avait déjà conçu un grand projet pour fonder une école "libre" (sous régime subsidié), avec le concours des grosses sociétés katangaises (l’Union Minière et la B.C.K.), des entreprises privées du Katanga et des subsides de la Colonie. Ce serait un "institut technique supérieur" et, selon lui, la fondation d'une telle école prestigieuse empêcherait "à tout jamais" l'établissement d'une école technique "laïque"... Comme on verra, aucune suite ne sera donnée à ce projet, du moins pas à Elisabethville .
2. L'élaboration du projet : une école officielle congréganiste à confier aux salésiens
(1948-1949)
C’est le 22 mai 1948 que les autorités coloniales commenceront à prendre des initiatives concrètes pour créer cette nouvelle école à Elisabethville. Une lettre fut envoyée dans ce sens par le Gouverneur Général résidant à Léopoldville, Eugène Jungers, au Gouverneur du Katanga a.i., Joseph Ziegler de Ziegleck. Il lui demanda d’examiner si une congrégation enseignante, « en l’occurrence » les Salésiens de Don Bosco, pouvait être trouvée disponible pour prendre en main la gestion d’une école « officielle » sous régime congréganiste, c.-à-d. sur base d’une « convention » entre le gouvernement du Congo belge et la congrégation enseignante. Il expliqua les raisons de sa préférence pour les Salésiens en disant qu’ils étaient déjà sur place et que leur congrégation avait déjà démontré ses capacités dans ce domaine en desservant maintes écoles professionnelles en Belgique et à l’étranger. Sur ce point, il lui demanda de contacter sans délai Mgr. Vanheusden en soulignant que, dans l’intérêt du Katanga, il fallait tenter d’emblée la création d’une école professionnelle d’un niveau plus élevé. Cette école formerait non seulement des « ouvriers qualifiés ordinaires » par un cycle de 4 ans, mais aussi et surtout des « maîtres-ouvriers techniciens » par un cycle de 6 ans. Il fallait hâter l’étude de la question, disait-il, afin que le projet puisse entrer dans la voie des réalisations dès 1950 et que l’ouverture de la première année scolaire puisse être prévue, au plus tard en 1951. Pour faire avancer les choses, il adjoignit déjà une ébauche de convention . Le Gouverneur du Katanga, comme on le lui avait demandé, écrivit aussitôt à Mgr. Vanheusden en lui transmettant copie de la lettre du Gouverneur général et en lui demandant de faire ses remarques sur l’ébauche de convention annexée en tenant compte de son expérience de l’école professionnelle de Kafubu et des avis exprimés dans les séances du conseil de la Province du Katanga en 1947 et en 1948.
Mgr. Vanheusden lui répondit dans une lettre du 6 juin 1948, lettre qui fut élaborée avec l’aide du père Smeets, représentant légal des Salésiens au Congo. Il lui écrivit qu’il était persuadé que les idées exprimées dans la lettre du gouverneur général trouveraient l’approbation du Provincial de Belgique à qui il revenait, en dernier ressort, de décider de l’acceptation de cette œuvre et, éventuellement, de signer un contrat. Ensuite, il ajouta quelques nouvelles propositions : ne serait-il pas préférable de combiner en une seule école l’école professionnelle les deux cycles : cycle ordinaire (de 4 ans) et cycle supérieur (de 6 ans) ? Pour accéder à ce dernier cycle, seulement ceux qui auraient donné les preuves de leurs capacités au cycle ordinaire devraient être admis. Il se déclara aussi favorable à la formule de l’externat car, selon lui, pour ceux de l’intérieur du pays, il y avait déjà l’école de Kafubu avec son internat. Par ailleurs, il était convaincu de la réussite de cette nouvelle école à condition toutefois que le Gouvernement assume toutes ses obligations financières et respecte quelques conditions. Par exemple : la direction de l’école devait revenir aux Salésiens ; le personnel enseignant devait être mixte (religieux et laïc) ; la Congrégation salésienne devait faire le choix du personnel laïque comme du personnel religieux. Pour le personnel laïc, il fallait que l’autorité salésienne puisse le choisir spécialement parmi les anciens élèves de ses propres écoles professionnelles reconnues par le Gouvernement. Enfin, il insistait pour que le personnel religieux jouisse du même traitement de base que le personnel laïque car « à travail égal, salaire égal ». Si le Gouvernement était d’accord avec ses clauses, les Salésiens se déclareraient prêts à commencer cette école dès 1951 .
Entre-temps, le 10 juillet 1948, le Provincial, le père Lehaen, s’était mis à écrire à Mgr. de Hemptinne pour le mettre au courant des tractations en cours. Il lui relatait que les Salésiens avaient posé quelques conditions dans les pourparlers préliminaires avec le Gouvernement en vue de créer une école officielle congréganiste. Dans le cas où le Gouvernement ne les acceptait pas, les salésiens proposeraient une solution que lui, Mgr. de Hemptinne, avait déjà proposée en son temps: fonder une école libre, agréée par l’Etat, sous le patronage des organismes industriels du Katanga, avec seulement un appui financier de l’Etat .
Au mois d’août 1948, le secrétaire du gouverneur du Katanga, monsieur R. Monet, réagit à la lettre de Mgr. Vanheusden en écrivant qu’il fallait éviter une doublure avec l’école professionnelle de la Kafubu. Le but principal du Gouvernement était de créer une école professionnelle « supérieure » avec des élèves qui avaient suivi avec fruit une école primaire complète jusqu’en 6ème année. Il admettait que tous les élèves ne seraient pas capables d’atteindre cet objectif. Ceux-ci quitteraient l’école en 4ème année avec un diplôme d’école professionnelle « moyenne ». Le secrétaire exposait un deuxième désir du Gouverneur qui était d’avis qu’il fallait ajouter un internat à la nouvelle école de la ville, car une école-externat aurait le désavantage de se limiter à inscrire seulement les élèves d’Elisabethville . Or, la nouvelle école devait être une école « régionale » avec des élèves provenant de tout le Katanga. Enfin, il faisait comprendre que le Gouvernement ne pouvait pas consentir à accorder les mêmes avantages salariaux et sociaux au personnel religieux qu’au personnel laïque .
Durant l’année 1949, les préparatifs de la fondation semblaient piétiner. Néanmoins, l’accord de principe étant acquis sur une collaboration avec les Salésiens, le Gouvernement s’occupait, pour sa part, d’explorer les possibilités d’implantation. Cela devait prendre plus de temps que prévu vu les multiples tiraillements, comme on le verra...
3. La concrétisation du projet: un école artisanale, professionnelle et technique
(1950-1951)
Une nouvelle évolution dans le dossier est à observer en 1950. Dans une lettre du 17 avril 1950, le Vice-Gouverneur général, monsieur Thibault, écrivit au Gouverneur du Katanga, que le Gouverneur Général était d’accord pour l’emplacement de cette école professionnelle supérieure ou « technique » à la cité Kenya (d’Elisabethville) et qu’il était maintenant urgent de procéder à un projet d’implantation des bâtiments et aux prévisions budgétaires. Il lui demandait encore de « reprendre le contact avec Mgr. Van Heusden, qui, au nom de sa congrégation, avait accepté de desservir la nouvelle école », car il fallait faire aboutir rapidement la signature de la convention avec la congrégation salésienne .
Le 4 juillet 1950, le Provincial, le père Lehaen, informa Mgr. de Hemptinne de l’état des pourparlers entre la Congrégation salésienne et le Ministère des Colonies concernant « l’Ecole Technique pour Indigènes à Elisabethville ». Il lui communiqua l’accord formel de son conseil provincial pour desservir cette école par la Congrégation salésienne « sous régime officiel ». Il lui disait aussi que son Conseil, en s’engageant sur cette voie, avait voulu répondre aux vœux exprimés par Mgr. de Hemptinne lui-même, que ce soient les Salésiens à prendre en main cette école technique dans son Vicariat .
C’est en novembre 1951 que les Salésiens parvinrent à formuler un projet d’ensemble sur la future œuvre, telle qu’ils la concevaient, en vue de hâter les décisions à prendre . C’était suite à une réunion élargie de consultation qui regroupait les hauts responsables politiques et socio-économiques d’Elisabethville : le Gouverneur du Katanga (René Wauthion), un représentant de l’Union Minière, des Chemins de fer Bas-Congo-Katanga et du Colonat, puis Mgr. de Hemptinne et - du côté salésien - les pères Picron et Smeets. Suite à l’échange des points de vue, le père Picron, délégué du Provincial de Belgique en Afrique, et le père Smeets, son représentant légal, firent connaître leur « position » dans un lettre signée conjointement, adressée au Gouverneur général :
« 1) ... les PP. Salésiens maintiennent l’accord verbal qu’ils ont donné...
2) ... les PP Salésiens demandent qu’il y ait des internes et des externes. Les élèves se recruteront à la fois dans la population scolaire d’Elisabethville et de la Province.
3) La mise en marche de l’Ecole Professionnelle se fera utilement au degré professionnel « moyen » en 4 ans. La réussite de cette section est garantie par une expérience de 40 ans et par le besoin de main d’œuvre qualifiée. Pour l’enseignement du degré « inférieur », ou simple apprentissage (en 3 ans), les PP. Salésiens n’ont pas caché leurs appréhensions dans les correspondances échangées précédemment. Mais vu l’insistance exprimée dans les dernières Ordonnances gouvernementales et sur la demande instante de Monsieur le Commissaire du District, les PP. Salésiens commenceront cet enseignement aussitôt que possible, de façon toutefois qu’il ne nuise nullement à l’enseignement professionnel moyen et supérieur.
4) Comme cet enseignement de simple apprentissage se recrute principalement sur place, les PP. Salésiens veulent tenir grand compte des desiderata de S. Excellence Mgr. de Hemptinne et mettre cette section à la portée immédiate de la population primaire de la nouvelle extension de la ville indigène (sur la Katuba ou Outre-Lubumbashi), à la condition que cette section soit sous régime officiel, comme la section moyenne et la supérieure.
5) Tout en faisant confiance aux Autorités urbaines pour le choix du terrain où s’élèvera la nouvelle Ecole Professionnelle, nous demandons que l’on tâche de réunir les conditions désirables, à savoir : que le terrain soit assez vaste pour permettre des agrandissements subséquents ;
qu’il soit accessible aux externes et, en même temps, assez retiré pour isoler l’Internat et la résidence des Pères ;
qu’il soit salubre, facilement accessible aux distributions d’eau et d’électricité ;
qu’il soit, si possible, d’un seul tenant.
Or, ses conditions semblent se réaliser dans la partie supérieure et non encore lotie de la nouvelle extension sur la Katuba, en haut de l’actuelle « dépression marécageuse ».
En bordure du terrain de l’Ecole Professionnelle pourront en outre s’élever les écoles centrales pour garçons et pour filles indigènes, ainsi que d’autres œuvres sociales qui seraient confiées aux PP. Salésiens par les Autorités compétentes. »
Ce premier « projet éducatif-pastoral » devait subir quelques modifications suite aux nouvelles propositions de Mgr. de Hemptinne qui voulait que les Salésiens s’occupent en ville, en plus de l’école professionnelle moyenne et supérieure, de plusieurs petites « écoles artisanales » ou écoles professionnelles « inférieures », notamment à la Katuba. Ces écoles auraient dû être, selon lui, le couronnement des écoles primaires dans les quartiers des différentes cités. Dans ces conditions, il était même d’accord de confier aux Salésiens toute la pastorale de l’extension Katuba avec ses 20-30.000 habitants .
4. Une nouvelle orientation dans le projet : une école interraciale (1952)
Apparemment, c’est à la Katuba que tout allait se faire. Aussi, dès février 1952, les Salésiens reçurent du Gouverneur Général, les formulaires en vue de la rédaction et de la signature d’une convention pour l’organisation de la nouvelle école . Mais en avril 1952, dans une lettre à René Wauthion, Gouverneur de la Province du Katanga, le père Picron fit savoir que « de graves objections » avaient été faites contre le terrain précédemment choisi à la Katuba. Il ajouta que le Commissaire de District étudiait déjà une nouvelle possibilité d’implantation dans « la zone neutre », c.-à-d. dans la zone verte située entre le centre-ville d’Elisabethville et la cité Albert .
Nous sommes bien curieux aujourd’hui de savoir quelles étaient ces objections qui soudainement remirent tout en question. Les Salésiens citaient l’humidité du terrain, son éloignement de la ville (du centre d’E’ville) causant préjudice aux futurs externes de l’école professionnelle (moyenne et supérieure) qui auraient dû faire, chaque jour, la distance de la ville vers la Katuba . Mais la raison principale n’était pas celle-là. Le motif déterminant a été la nouvelle proposition venue de la part des Salésiens du Collège Saint François de Sales, suite aux insistances des parents qui réclamaient déjà depuis tout un temps une école professionnelle pour la jeunesse européenne. Aussi, le bruit courut dans le milieu évillois que le Gouvernement du Congo belge avait le projet de fonder une école « laïque » pour cette population scolaire . Pour sa part, le Bureau de l’enseignement catholique de Léopoldville fit savoir aux Salésiens qu’en effet le Gouvernement méditait ce projet, mais que le régime à préférer n’était pas encore fixé entre école officielle « laïque » et école « congréganiste ». Ce qui était sûr, c’était que la préférence du Gouvernement allait vers une école interraciale qui servirait en même temps pour élèves européens et africains . Il ne restait aux Salésiens qu’à seconder le désir du Gouvernement. C’est probablement déjà dans ce sens que le père Picron cherchait à nouer rapidement des contacts avec l’autorité coloniale. Dès qu’il eut connaissance d’une prochaine visite à Elisabethville du Gouverneur Général, Léon Pétillon, il n’hésita pas à lui demander la faveur d’une audience pour traiter de la question de l’enseignement professionnel .
Un autre motif, de nature pastorale, vint s’ajouter pour provoquer un tournant dans le projet initial de l’implantation de l’école. D’après le père Picron, une implantation en bordure de la ville, mais assez près du centre-ville, aurait un grand avantage d’un point de vue proprement salésien. Cet emplacement offrirait des chances uniques pour s’occuper de « la jeunesse flottante » de la Cité par des patronages populaires et des plaines de jeux auxquels pourraient se consacrer, dans l’avenir, les Salésiens et les Salésiennes de manière conjointe. Il fallait donc faire d'une pierre deux coups. Par conséquent, il s’agissait de choisir le site d'implantation en fonction de ces deux nouvelles options . Un nouveau projet organique devrait donc être présenté au gouverneur général qui, par ailleurs, en était déjà au courant . D’après le père Picron, devenu provincial depuis peu, cette fois-ci une décision devait être prise de manière irréversible, au moins sur le caractère interracial (ou non) de la future école. Il le fit savoir clairement au Gouverneur Général, Léon Pétillon, au mois d’octobre 1952 :
« ...Lorsque, au cours de réunions où étaient représentés le Gouvernement, les grandes Sociétés, le Colonat, fut défendue l’opportunité d’une Ecole unique où Blancs et Noirs seraient prudemment rapprochés par les soins d’une direction unique, les Salésiens ont accepté encore cette formule courageuse.
C’est dans cet esprit que furent faites les premières implantations par les services des T.P.P. avec l’accord de tous les services compétents.
Or, le bruit court, depuis quelque temps, que le Gouvernement de la Colonie ne fera pas, à Elisabethville, d’Ecole professionnelle pour Blancs ou en fera une de régime laïque.
Surpris et passablement mortifié, je tiens à en écrire, par lettre personnelle, à Votre Excellence.
Je reviens depuis peu d’Usumbura, où un collège interracial affirme à tous la politique de rapprochement, sous le signe de la Religion, que soutient courageusement notre Gouvernement Général. Verra-t-on, à Elisabethville, écarter une solution courageuse de rapprochement pour des raisons de politique métropolitaine ?
On reproche parfois aux Katangais de favoriser la barrière de couleurs. Et lorsqu’ils présentent une solution de rapprochement, on la leur refuse ? [...]
Nous sommes prêts. J’ose espérer que ce sera là le mot de la fin [...]» .
Ce ne sera pas le mot de la fin, car il fallait encore prendre une décision nette sur le lieu d’implantation et préciser l’organisation concrète de cet enseignement...
5. La mise au point du projet : le lieu d’implantation et l’organisation scolaire (1953)
Bien que la préférence des salésiens allait déjà vers la Zone Neutre, pour ce qui concerne le lieu d’implantation, il nous semble qu’aucune décision définitive n’ait été prise en 1952. Ce n’est que le 8 décembre 1953 qu’elle le fut lors d’une réunion de la commission technique chargée de l’Ecole Professionnelle . Le grand problème c’était que les constructions dans la Zone Neutre, sur un terrain en pente, allaient coûter bien plus cher que sur un terrain plat. On estimait que les travaux de nivellement allaient coûter une somme de six millions de FB en plus du budget prévu. Mais, selon les présents, ce n’était qu’un supplément minime dans un si vaste programme de constructions, qui serait d’ailleurs largement compensé par les économies qu’on ferait au niveau du transport des professeurs et des élèves. La Zone Neutre leur semblait donc un emplacement idéal près de la ville européenne et de la cité indigène, donc très facilement accessible par tous dans un minimum de temps .
Que fallait-il construire ou aménager au juste ? Un plan détaillé était prêt et fut présenté dans la même réunion du 8 décembre 1953 sous le nom de « plan d’ensemble » où étaient prévus une maison d’habitation pour les Salésiens, une autre pour des frères de congrégations indigènes qui viendraient se former à l’école, un bâtiment pour l’administration avec les bureaux et un autre pour les services généraux de l’école, un internat pour les enfants africains et un autre pour les enfants européens, une salle de théâtre et une salle de gymnastique avec terrains de sport derrière celui-ci, un bâtiment de classes et d’ateliers, une chapelle et une vaste cour, un espace libre pour une plaine de jeux, un parc et enfin un potager... Rien ne fut oublié. D’après le père Lehaen, activement présent à cette grande réunion, qui transmettait les conclusions de cette réunion à son Provincial, les Salésiens pouvaient être pleinement satisfaits :
« ...J’ai veillé à ce que la chapelle soit centrale par rapport aux deux internats et aux deux communautés [religieuses] ; j’ai également veillé à ce que la surveillance soit facile ; enfin j’ai obtenu que l’accès de l’école professionnelle proprement dite soit rendue possible sans qu’ils soient obligés de passer par l’internat. A mon avis, les bâtiments sont ainsi bien disposés selon les critères salésiens : la maison des confrères fera face à la cour et l’internat.... [elle] dominera vraiment toute la situation : le regard plongera par dessus les toitures dans toutes les cours de récréation et jusque sur la plaine de jeux. [...] il y a environ 15 Ha utilisables pour les constructions. Il en restera encore assez pour un jardin potager, parc etc. Dès que j’aurai les plans en ma possession je vous les ferai parvenir pour approbation. »
En ce qui concerne l’organisation scolaire, au mois de février 1953, le père Picron, demanda au Ministre des Colonies, André Dequae, l’autorisation de commencer un A3, avec la possibilité de passer en A2 en forme mixte (Blancs-Noirs) . Dans un autre document de la même période, on précisait qu’on voulait créer un A3 pour les élèves africains en 4 ans, à la fin de quoi une sélection sévère permettrait aux meilleurs élèves de passer en A2.
On prévoyait une population scolaire de 500 élèves dont 150-200 internes ; le plafond était fixé à 1000 élèves dont 300 internes. On voulait aussi créer une 6ème primaire de 100-200 élèves, dont la moitié ou le tiers serait composé d’internes . Le bien-fondé de la séparation, en deux sections distinctes, des élèves européens et africains au niveau professionnel (A3), était expliqué au Gouverneur Général par le père Smeets. Il essayait de le convaincre que cela convenait pour des raisons purement didactiques et socio-culturelles, loin de tout préjugé raciste . Mais une année plus tard, en mai 1954, le père Lehaen fit comprendre que le problème ne se poserait pas dans l’immédiat car la création d’une section mixte (de jeunes européens et africains) du premier degré de l’école professionnelle (A3) était renvoyée à plus tard : « ... au début nous n’accepterons que des élèves noirs ; nous n’accepterons des enfants européens que lorsque le niveau des études aura atteint celui de nos écoles en Belgique » . Autant dire que, dans un premier temps, l’école serait exclusivement une école pour jeunes africains. Où allait-on alors créer une section professionnelle pour élèves européens ? N’était-ce pas au Collège Saint François de Sales où la direction avait tellement insisté sur la nécessité d’avoir à Elisabethville une école professionnelle pour les élèves européens ? En effet, c’était le grand désir du Provincial, le père Picron, que le Collège s’engageât dans ce sens. Il voulait même qu’elle démarre immédiatement, dès 1954, au Collège pour être transférée par après dès que la nouvelle école (dans la Zone Neutre) aurait des bâtiments prêts pour l’accueillir. Mais les supérieurs du Collège objectèrent qu’au Collège on ne disposait pas d’assez de locaux. Cette prise de position déplut fortement au père Picron. Il rétorqua que le Gouvernement allait tirer prétexte de ce fait pour accuser les Salésiens d’incapacité. Le risque était grand, selon lui, que ce même Gouvernement commençât une école professionnelle laïque à part pour les élèves européens .
Comme on le voit, le but visé est resté le même : créer avec le temps une vraie école interraciale dont les élèves seraient entièrement groupés dans les cours et les ateliers. On les garderait cependant en groupes distincts au niveau de l’internat : chaque groupe racial aurait donc son propre internat . Quant à l’horaire, la semaine compterait 45 heures (de 45 minutes) dont 28 heures de travaux d’atelier, 15 heures de cours théoriques et 2 heures de culture physique. Par contre, la section Machine-outils (composée de mécaniciens de 3ème et 4ème année) aurait 21 heures de cours théoriques .
6. La matérialisation du projet : une école d’apprentissage des métiers (A4, puis A3)
Heureusement pour les Salésiens, la signature de la convention par le Gouverneur Général, Léon Pétillon, eut lieu le 14 octobre 1953 , juste avant le début de la « lutte scolaire » entre enseignement « officiel » et enseignement catholique « libre ». Cette lutte, commencée en Belgique en 1954, ne sera pas moins acharnée au Congo jusqu’en 1958. Ce qui freinera pas mal le premier essor de la nouvelle école professionnelle officielle d’Elisabethville encore au stade de son lancement. Mais le gros était acquis, même si le représentant légal des salésiens, le père Smeets, n’était pas satisfait de certaines conditions. Il avait signé cette convention, dès le 3 février 1953, après une période d’hésitation. Il aurait notamment voulu obtenir, pour le personnel laïc, un traitement complètement égal à celui du personnel laïc dans les écoles publiques « laïques ». Il n’y réussit pas, mais il eut soin de transmettre ses doléances aux instances supérieures de l’Eglise catholique à Léopoldville pour qu’elles continuent à suivre ce dossier.
Pour sa part, à la date du 6 septembre 1955, le Chapitre Supérieur de la Congrégation salésienne accepta formellement la création de la nouvelle œuvre . Le provincial et le Délégué des salésiens au Congo devaient maintenant penser à composer une nouvelle communauté religieuse. Celle-ci ira s’installer provisoirement dans une maison à l’Avenue Leman, n° 29, à la date du 26 septembre 1955.
Qu’en sera-t-il de l’engagement pastoral des Salésiens en ville ? Par l’implantation dans la Zone Neutre, au lieu de l’extension Katuba, ils perdaient une belle chance d’avoir un territoire entièrement confié à leurs soins. Mais Mgr. de Hemptinne, dans une attitude bienveillante, prévoyait déjà une nouvelle possibilité. En août 1954, il en parla au Provincial, le père Picron, en proposant au soin pastoral des Salésiens tout le nouveau quartier de l’Arboretum qui deviendra la Cité de Ruashi .
Il fallait surtout construire, condition indispensable pour ouvrir une école. Or c’est seulement en 1955 qu’on a commencé la construction des premiers ateliers sur le terrain de la Zone Neutre. On avait embarqué les hangars à Anvers (en Belgique) dès le 28 février 1954, mais il fallait trois mois pour les acheminer jusqu’à Elisabethville. Entre-temps, les bureaux des Travaux Publics (T.P.) de la Province du Katanga travaillèrent à la mise au point des plans. Les contraintes budgétaires du Gouvernement, qui avait simultanément lancé d'autres écoles professionnelles au Congo et au Rwanda, ralentirent encore l’exécution des travaux. De cette manière, l’ouverture de l’école pouvait être prévue, au plus tôt, en septembre 1955 .
D’après le projet initial, on visait surtout à créer une école professionnelle de haut niveau. En réalité, la nouvelle école d’Elisabethville a démarré comme une simple école d’apprentissage des métiers (A4, puis A3). Quatre raisons expliquent ce fait. En premier lieu, il s’est avéré que la création d’une école professionnelle supérieure de 6 ans (A2) n’était plus une urgence puisque l’Union Minière avait déjà lancé une telle école. En deuxième lieu, la nouvelle option - une école d’apprentissage des métiers - répondait mieux à la stratégie adoptée par les supérieurs salésiens du moment qu’ils étaient préoccupés de pouvoir enfin lancer cette école après tant d’années de palabres. Même si tous les ateliers n’étaient pas prêts et le personnel qualifié manquait encore en grande partie, il fallait selon eux commencer à tout prix. Ensuite, d’après le père Picron, cette option répondait aux vœux du Gouverneur général, Léon Pétillon, qui avait recommandé de commencer petitement pour grandir après .
En dernier lieu, les Salésiens, en tant qu’ardents défenseurs de la cause de l’enseignement catholique, étaient préoccupés de contrecarrer la tendance laïciste en cette période de lutte scolaire. Les autorités coloniales auraient pu profiter de la lenteur du lancement de la nouvelle école pour remplacer la direction catholique (ici la Congrégation salésienne) par une direction entièrement laïque. Aux yeux des Salésiens, il fallait devancer toute initiative de ce côté. C’est ce qu’on peut déduire de quelques notes du père Picron qui prit très au sérieux cette menace potentielle provenant de la politique libérale du Ministre des Colonies, Auguste Buisseret. C’est pourquoi il était de l’avis qu’il fallait initier l’école sans délai .
Toutefois, il a fallu renoncer à faire démarrer, en même temps et ensemble, les deux sections de l’école professionnelle : l’une pour élèves européens et l’autre pour élèves africains. D’ailleurs, on ne songeait déjà plus à créer deux sections distinctes, mais à « associer au plus vite » (sic) les diverses races dans une même école. C’est ce qu’expliquait le père Picron, pleinement d’accord sur ce point avec la politique gouvernementale : « Il est en effet impossible de satisfaire par des écoles spéciales, les Blancs, les Noirs, les Mulâtres, les quarterons, etc. Le doigté du directeur d’école peut éviter les heurts et faciliter les rapprochements. » D’autre part, il y avait des signes précurseurs que le Gouvernement avait l’intention de créer une section technique pour les élèves européens à l’Athénée d’Elisabethville .
C’est le 11 octobre 1955, que l’école d’Elisabethville pouvait enfin « ouvrir ses portes », même si ces « portes » (matérielles) manquaient encore cruellement . Pour toute sécurité, les salésiens avaient reporté la date de l’ouverture du 4 octobre au 11 octobre, une date symbolique pour eux . En tout cas, à leurs yeux, même si tout n’était pas prêt – on était loin de là - il fallait à tout prix commencer :
« Il a fallu beaucoup du temps pour arriver à ce résultat et nous avons manqué de la voir nous échapper [l’école], car à Léopoldville, les hommes de gauche du Gouvernement Général étaient bien décidés à en faire une école laïque. [...] Est-ce peut-être à cela que nous devons attribuer toutes les lenteurs administratives entravant la mise en marche de notre école ? [...] nous commencerons, le 11 octobre, les cours professionnels quelles que soient les conditions : prêts ou pas prêts, nous commencerons ; nous ne voulons pas jouer le jeu de ceux qui cherchent à entraver la mise en marche de notre école. Mise sous le patronage de St Jean Bosco, nous espérons en faire vraiment sa maison et des enfants qui la fréquenteront des fils de Don Bosco. »
En sa première année scolaire 1955-1956, la nouvelle école démarra avec les sections artisanales du bois, du fer et du bâtiment. Elle comptait : 191 élèves dont 60 en section professionnelle (menuiserie), 68 en section artisanale (mécanique), 63 en section artisanale (maçonnerie). Le corps enseignant et administratif était constitué de 4 religieux (salésiens), de 4 professeurs laïcs européens et de 12 moniteurs africains. Au niveau parascolaire, on lança dès le début un groupe Chiro, avec un effectif de 152 garçons et une Compagnie de saint Joseph, avec 17 membres .
Conclusions
1. La fondation d’une école se déroule comme un processus historique dans lequel entrent en jeu les besoins et les défis, les aspirations, les conditions matérielles, le contexte socioculturel, les mentalités et les idéologies, les structures existantes. C’est ainsi que nous avons essayé de comprendre comment toute l’histoire de la fondation de l’E.P.O. Don Bosco s’insère à partir du contexte socio-politique typique du Congo belge dans la période allant de l’après-guerre jusqu’à l’Indépendance (1945-1960). Les options prises s’expliquent largement par rapport à ce contexte . On voulait offrir un enseignement généralisé accessible à la masse juvénile congolaise (au niveau de l’école primaire), puis créer de plus en plus de possibilités d’étude et de qualification après l’enseignement primaire. Ce dernier besoin était davantage ressenti dans le Haut-Katanga (Elisabethville), région à forte demande industrielle.
Aux yeux des acteurs historiques, il fallait promouvoir : 1° l’enseignement professionnel jusqu’à arriver à un niveau proprement technique ; 2° le faire, si possible, dans un structure scolaire interraciale ; 3° en s’appuyant sur les agences promotrices de l’enseignement : les églises (p. ex. l’Eglise catholique), les grandes sociétés (p. ex. l’Union Minière), et l’Etat. Celui-ci avait le choix entre deux possibilités d’organisation : créer des écoles officielles publiques (« laïques ») ou des écoles congréganistes (par une convention avec une société religieuse, p. ex. la Congrégation salésienne).
2. On sait que, dans un processus historique, les hommes agissent de manière spécifique, chacun avec sa personnalité spécifique. Au cours de notre exposé, nous avons rencontré un grand nombre d’intervenants dans la création de cette école. En se limitant aux seuls protagonistes, nous avons constaté qu’ils ont été assez nombreux en commençant par ceux qui sont déjà intervenus dans les préparatifs de la fondation : le Gouverneur Général du Congo belge, le Gouverneur du Katanga, Mgr. de Hemptinne et Mgr. Vanheusden.
La fondation de l'E.P.O. doit certainement aussi beaucoup aux instances de la Colonie : le Ministre des Colonies, André Dequae, le Gouverneur Général, Léon Pétillon, et le Gouverneur du Katanga, René Wauthion, et leur collaborateurs respectifs, du fait qu’il s’agissait d’une école officielle.
Selon ce qu’on sait de l’histoire, la fondation de l’Ecole Professionnelle Officielle d’Elisabethville aurait de toute façon eu lieu. Si l’Etat s’en était chargé lui-même en tant qu’école publique officielle (« laïque »), il est presque certain que cette école, dans la conjoncture du Zaïre - R.D.Congo, telle que nous la connaissons actuellement, aurait subi le même sort que les autres écoles officielles (athénées) de Lubumbashi. Tombée en ruine, ou fortement délabrée, les responsables d’aujourd’hui n’auraient peut-être pas trouvé de motifs pour célébrer son cinquantenaire en 2005. Au moment où nous écrivons cet article, nous sommes émerveillés devant ce bel ensemble d’infrastructures que les Salésiens, avec bien sûr le concours de leurs partenaires (des sponsors ou des bailleurs de fonds), ont pu non seulement garder dans un assez bon état, mais même agrandir et moderniser ; de telle façon qu’aujourd’hui, on regarde l’E.T.S. Salama comme une école des mieux tenues de la ville de Lubumbashi.
Quant au rôle joué par les deux évêques cités, nous pouvons affirmer que Mgr de Hemptinne a évolué dans sa prise de position. Au début il était réticent pour accueillir une nouvelle école « officielle » dans sa juridiction, mais il a rapidement compris que c’était une bonne chose du fait qu’elle serait « congréganiste ». Il a eu pleine confiance dans les Salésiens comme gestionnaires et il s’est d’avance réjoui de tout le bien qu’ils feraient par cette « grande œuvre » pour la jeunesse africaine. En approuvant la fondation d’une maison pour la communauté salésienne au service de l’école officielle, il écrivit : « C’est avec grande satisfaction et avec reconnaissance que je déclare autoriser cette fondation. »
Au sujet de Mgr. Vanheusden, on se pose la question à quel titre il est intervenu dans une question qui ne semblait pas concerner son propre Vicariat (Sakania) ? Assez vite, il était clair que l’Ecole Professionnelle allait être implantée aux environs d’Elisabethville, donc avec toute probabilité dans la Préfecture de Mgr. de Hemptinne. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce fait . La principale fut que Mgr. Vanheusden était resté le représentant légal des Salésiens pour « l’enseignement aux indigènes » ; plus explicitement : le représentant légal des « salésiens missionnaires au Congo » . La question de la nouvelle école le concernait donc directement puisqu’elle était destinée aux jeunes africains (la jeunesse « indigène »). Par contre, le père Smeets était le « représentant légal des Salésiens « affectés à l’enseignement pour Européens au Congo », comme l’expliqua le père Lehaen au Ministre des Colonies dans une lettre du 14 mai 1951. Le même père Lehaen avouait toutefois que cette dualité de représentation légale n’était pas heureuse et il prévoyait que, du moment où on allait parler concrètement de « l’organisation » de la nouvelle école professionnelle, le Gouvernement aurait à s’adresser au père Smeets, bien mieux placé pour conduire à bonne fin ces tractations . C’est pourquoi, peu de temps après, le père Picron demandera au Gouverneur Général de reconnaître le père Smeets comme unique représentant légal des Salésiens en vue de la signature de la convention pour la nouvelle école. Car, expliquait-il, « il n’est pas avantageux de multiplier les représentations légales en distinguant l’enseignement pour Blancs et l’enseignement pour Indigènes » .
3. Les salésiens de don Bosco, comme un groupe d’acteurs historiques concrets, nous semblent avoir saisi rapidement et intensément cette chance de l’enseignement professionnel et technique au Congo, ce qui d’ailleurs correspondait parfaitement à la mission de leur congrégation et de leur fondateur Don Bosco . Dans les années ’50, ils ne cessaient d’insister sur l’urgence de cet enseignement et sur les grandes possibilités éducatives liées à cet enseignement , en faisant le lien avec leur tâche pastorale. Ils voyaient l’impact qu’ils pouvaient avoir par leurs activités scolaires (cours de religion et catéchèse, célébrations liturgiques), conjointement aux activités parascolaires et postscolaires par l’internat, les mouvements des jeunes, le patronage et la plaine de jeu, le sport. Ils ont adhéré au mouvement vers un enseignement interracial, même si dans la pratique ils ont rencontré beaucoup d’obstacles didactiques, socio-culturels, politiques et idéologiques. Enfin, bien qu’entravés par un climat de lutte scolaire, ils ont essayé d’être un partenaire fiable dans une collaboration loyale avec l’Etat, dans le cadre des écoles officielles congréganistes. A leurs yeux, c’était d’abord une question de réalisme, car ils savaient bien que le fonctionnement d’une école professionnelle ou technique coûtait très cher. De plus, ils voulaient contrecarrer une politique laïciste de plus en plus offensive au niveau de la politique gouvernementale et garder ainsi un impact sur la jeunesse congolaise. En effet, ils étaient très attachés à une éducation fondée sur les valeurs spirituelles de la religion chrétienne ; valeurs qu’ils estimaient indispensables dans une éducation humaine complète.
4. Nous avons constaté le rôle déterminant du trio salésien : les pères Smeets-Lehaen-Picron. Sans leur esprit d’initiative, leur endurance dans les négociations, leur collaboration très active avec les autorités de l’Etat, la fondation de l’E.P.O. serait probablement restée un beau rêve ou même une chimère dans le sens que le projet de fondation aurait pu échapper à l’Eglise catholique et aux Salésiens.
Quel a été l’impact du père Smeets sur la mise en place de l’école ? Dans un premier temps, il ne semblait pas pressé à s’en occuper, sans doute parce que déjà fort occupé au Collège Saint François de Sales. Mais il a commencé à se dévouer à cette tâche après une demande explicite de son Provincial. Son rôle a été décisif quand il s’est agi de mettre la dernière main à la rédaction de la convention entre le Gouvernement et la Congrégation salésienne. C’est lui aussi qui signera, en 1953, la version définitive de la convention après avoir obtenu plusieurs modifications en faveur de la Congrégation.
Il faut citer ensuite le père Lehaen dont le rôle ne peut pas être sous-estimé ; d’abord comme provincial entre 1946 et 1952, accueillant favorablement l’avant-projet. Puis, en tant que Délégué du provincial au Congo, entre 1952 et 1958, en parfaite collaboration avec le père Picron devenu à son tour Provincial . Le père Lehaen a beaucoup aidé dans la mise au point du projet de la nouvelle école et dans sa réalisation pratique. Dès 1955, il combinera même la tâche de délégué des Salésiens du Congo, avec celle de directeur de la communauté salésienne qui prit en charge l’école professionnelle. Il sera donc à la tête de cette école jusqu’en 1958. Homme de précision, il veillait au moindre détail, informait rapidement et correctement son provincial, et exécutait tout avec une ponctualité sans faille.
En troisième, mais pas en dernier lieu, il faut souligner le rôle capital joué par le père Picron qui fut d’abord délégué du provincial au Congo (1949-1952), puis provincial de la province belgo-congolaise dans son ensemble (1952-1952). En ce qui concerne l’école professionnelle, on a pu constater qu’il fut impliqué du début à la fin dans toutes les tractations avec les autorités coloniales, ecclésiastiques et salésiennes. Il s’est engagé avec ferveur et ténacité dans la définition des grandes options, l’emplacement définitif, et l’organisation scolaire. La future école lui semblait dès le début une œuvre destinée à un grand avenir salésien quant à sa mission à l’égard de la jeunesse évilloise.